LECTURE LINEAIRE N° 2 : N. SARRAUTE, Pour un oui ou pour un non, "La taupe"

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LE TEXTE

H.2. –Mon Dieu ! et moi qui avais cru à ce moment-là… comment ai-je pu oublier ? Mais non, je n’avais pas oublié… je le savais, je l’ai toujours su… 

H.1. – Su quoi ? Su quoi ? Dis-le.

H.2. – Su qu’entre nous il n’y a pas de conciliation possible. Pas de rémission… C’est un combat sans merci. Une lutte à mort. Oui, pour la survie. Il n’y a pas le choix. C’est toi ou moi.

H.1. – Là tu vas fort.

H.2. – Mais non, pas fort du tout. Il faut bien voir ce qui est : nous sommes dans deux camps adverses. Deux soldats de deux camps ennemis qui s’affrontent.

H.1. – Quels camps ? Ils ont un nom.

H.2. – Ah, les noms, ça c’est pour toi. C’est toi, c’est vous qui mettez des noms sur tout. Vous qui placez entre guillemets… Moi je ne sais pas.

H.1. – Eh bien, moi je sais. Tout le monde le sait. D’un côté, le camp où je suis, celui où les hommes luttent, où ils donnent toutes leurs forces… ils créent la vie autour d’eux… puis celle que tu contemples par la fenêtre, mais la « vraie », celle que tous vivent… Et d’autre part… eh bien…

H.2. – Eh bien ?

H.1. – Eh bien…

H.2. – Eh bien ?

H.1. – Non…

H.2. – Si. Je vais le dire pour toi… Eh bien, de l’autre côté, il y a les « ratés ».

H.1. – Je n’ai pas dit ça. D’ailleurs, tu travailles…

H.2. – Oui, juste pour me permettre de vivoter. Je n’y consacre pas toutes mes forces.

H.1. – Ah ! tu en gardes ?

H.2. – Je te vois venir… Non, non, je n’en « garde » pas…

H.1. – Si. Tu en gardes. Tu gardes des forces pour quoi ?

H.2. – Qu’est-ce que ça peut bien te faire ? Pourquoi faut-il toujours que tu viennes chez moi inspecter, fouiller ? On dirait que tu as peur…

H.1. – Peur ? Peur !

H.2. – Oui, peur. Ça te fait peur : quelque chose d’inconnu, peut-être de menaçant, qui se tient là, quelque part, à l’écart, dans le noir… une taupe qui creuse sous les pelouses bien soignées où vous vous ébattez… Il faut absolument la faire sortir, voici un produit à toute épreuve : « C’est un raté. » « Un raté. » Aussitôt, vous le voyez ? le voici qui surgit au-dehors, il est tout agité : « Un raté ? Moi ? Qu’est-ce que j’entends ? Qu’est-ce que vous dites ? Mais non, je n’en suis pas un, ne croyez pas ça… voilà ce que je suis, voilà ce que je serai… vous allez voir, je vous donnerai des preuves… » Non, n’y compte pas. Même ça, même « un raté », si efficace que ça puisse être, ne me fera pas quitter mon trou, j’y suis trop bien.

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