Issue du latin jus, juris (qui a donné « juridique » et « juriste »). La justice est donc liée au droit mais elle revêt aussi une dimension morale.
La justice est aussi un sentiment subjectif pour chacun de nous , et pour les anciens, une vertu
Justice :
Dans la philosophie platonicienne, la justice dépasse les simples conventions sociales pour s’ancrer dans une réalité métaphysique !
Dans la République, il substitue aux conceptions communes de la justice une harmonie structurelle, qui s’applique à l’individu comme à la Cité.
Platon structure l’âme en trois parties : La raison, Le courage (ou l’ardeur), Les désirs (ou appétits) et chaque partie remplit son rôle sous l’autorité de la raison.
Platon établit un parallèle entre la structure de l’âme individuelle et celle de la cité idéale. Ainsi l’âme a 3 parties qui constituent aussi les 3 classes de la Cité idéale :
Pour Platon, il y a justice lorsque chaque partie accomplit sa fonction propre sans empiéter sur les autres, créant une harmonie hiérarchisée.
L’âme est juste lorsqu’aucune de ses parties n’empiète sur les autres, chacune « s’occupant de ses affaires propres ».L’individu sera juste si, en lui, la raison gouverne et prend des décisions dans l’intérêt de l’âme tout entière ; il sera courageux si l’ardeur s’allie à la raison, et tempérant si toutes les parties de son âme reconnaissent qu’elles doivent soumettre leurs satisfactions particulières aux projets d’ensemble établis par la raison.. La justice est donc, pour l’âme humaine, le principe de son harmonie intérieure.
La cité est juste lorsque de même, chaque classe sociale (philosophes, gardiens, producteurs) se consacre à sa fonction spécifique. L’État parfait, la Kallipolis, est l’État juste dont la législation s’inspire de la justice éternelle, il faut qu’il y ait accord entre les prescriptions de la loi morale et celles de la loi politique, c’est pourquoi le fondement de toute société est la justice puisqu’elle seule en est le principe d’ordre. Et pour cela…Il faut que chacun reste à sa place ! « chaque classe accomplissant la tâche qui est la sienne ».
La justice ne serait donc pas arbitraire mais découlerait d’un principe transcendant et éternel. La Cité Juste est le reflet de l’Âme vertueuse.
Pourquoi les philosophes doivent-ils gouverner : L’allégorie de la caverne le justifie ! Le philosophe est celui qui est sorti du monde, des apparences, du monde, sensible et trompeur pour cheminer vers la connaissance véritable. Le philosophe est donc celui qui a accès à la connaissance des idées et du Bien (symbolisé par le soleil dans l’allégorie de la caverne). Or pour Platon la justice dérive du Bien, qui est la réalité suprême. Donc seul celui qui connaît le Bien, peut-être juste et établir la justice.
En quoi l’allégorie de la caverne de Platon nous éclaire-t-elle sur la relation entre connaissance, justice et intérêt personnel ? Expliquez en environ 10 lignes.
Platon s’oppose donc à la plupart de ses contemporains et notamment aux sophistes qui considèrent que « la justice est l’intérêt du plus fort ». (cf.Thrasymaque).
Platon, La République , Livre I
Socrate – (…) expose-moi plus clairement ce que tu veux dire.
Thrasymaque – Eh bien, ne sais-tu pas, dit-il, que parmi les cités, certaines sont de régime tyrannique, d’autres de régime démocratique, d’autres de régime aristocratique ?
Socrate – Comment ne le saurais-je pas ?
Thrasymaque – Or, dans toute cité, ce qui détient le pouvoir, c’est ce qui gouverne ?
Socrate – C’est certain.
Thrasymaque – Or tout gouvernement institue les lois selon son intérêt propre, la démocratie institue des lois démocratiques, la tyrannie, des lois tyranniques, et ainsi pour les autres régimes politiques. Une fois les lois instituées, ils proclament juste pour les gouvernés ce qui de fait correspond à leur propre intérêt, et si quelqu’un les transgresse, ils le punissent comme violateur de la loi et auteur d’une injustice. Voilà donc, excellent homme, ce que je soutiens : dans toutes les cités, le juste est la même chose, c’est l’intérêt du gouvernement en place. Or, c’est ce gouvernement qui exerce en quelque sorte le pouvoir, de sorte qu’à quiconque raisonne avec bon sens s’impose la conclusion suivante : partout, c’est la même chose qui est juste, c’est-à-dire l’intérêt du plus fort.
Socrate – Maintenant, dis-je, j’ai compris ce que tu veux dire. Est-ce vrai ou non ? Je vais essayer de le savoir. C’est donc l’intérêt, Thrasymaque, qui est le juste, voilà ce que toi aussi tu as répondu, même si tu m’empêchais de faire cette réponse, à quoi s’ajoute cependant la mention “du plus fort”.
Thrasymaque – Un ajout certes négligeable, dit-il.
Socrate – Il n’est pas encore clair qu’il s’agisse d’une mention importante, mais il est bien clair par contre qu’il faut examiner si tu as raison. Car, puisque moi aussi je suis d’accord pour reconnaître que le juste consiste en un certain intérêt, mais que toi tu ajoutes à cet intérêt en déclarant qu’il s’agit de l’intérêt du plus fort, et puisque cela moi je l’ignore, alors il faut l’examiner.
Thrasymaque – Vas-y, entreprends l’examen, dit-il.
Glaucon relance le débat en soutenant que les hommes ne sont justes que par contrainte sociale. Pour Glaucon, la justice, contrairement à ce que vient d’exposer Thrasymaque, ne se ramène pas à la loi du plus fort, mais résulte d’un pacte par lequel, tous intérêts bien compris, les hommes s’engagent à obéir aux lois, lesquelles définissent à elles seules ce qui est juste5. Cependant, parce que ce pacte n’a pas d’autre origine que l’intérêt et le souci de la sécurité, et parce que, par ailleurs, c’est l’égoïsme qui domine dans la nature humaine, dès que les circonstances sont favorables, les hommes n’éprouvent aucun scrupule à rompre le respect dû aux lois et à laisser libre cours à leurs passions et à leur avidité. La métaphore de l’anneau de Gygès sert à montrer tout à la fois que la nature humaine n’est pas spontanément bonne, et qu’une théorie de la justice purement sociale et politique, c’est-à-dire sans référence à une exigence d’ordre supérieur, reste insuffisante.
Le mythe de l’anneau de Gygès illustre cette thèse :
Platon, La République II
Gygès le Lydien était un berger au service de celui qui régnait alors sur la Lydie. Après un gros orage et un tremblement de terre, le sol s’était fissuré et une crevasse s’était formée à l’endroit où il faisait paître son troupeau. Cette vue l’émerveilla et il y descendit pour voir, entre autres merveilles qu’on rapporte, un cheval d’airain creux, percé de petites ouvertures à travers lesquelles, ayant glissé la tête, il aperçut un cadavre, qui était apparemment celui d’un géant. Ce mort n’avait rien sur lui, [359e] si ce n’est un anneau d’or à la main, qu’il prit avant de remonter. À l’occasion de la réunion coutumière des bergers, au cours de laquelle ils communiquaient au roi ce qui concernait le troupeau pour le mois courant, notre berger se présenta portant au doigt son anneau. Ayant pris place avec les autres, il tourna par hasard le chaton de l’anneau vers la paume de sa main. Cela s’était à peine produit qu’il devint [360a] invisible aux yeux de ceux qui étaient rassemblés autour de lui et qui se mirent à parler de lui, comme s’il avait quitté l’assemblée. Il en fut stupéfait et, manipulant l’anneau en sens inverse, il tourna le chaton vers l’extérieur : ce faisant, il redevint aussitôt visible. Prenant conscience de ce phénomène, il essaya de nouveau de manier l’anneau pour vérifier qu’il avait bien ce pouvoir, et la chose se répéta de la même manière : s’il tournait le chaton vers l’intérieur, il devenait invisible ; s’il le tournait vers l’extérieur, il devenait visible. Fort de cette observation, il s’arrangea aussitôt pour faire partie des messagers délégués auprès du roi [360b] et parvenu au palais, il séduisit la reine. Avec sa complicité, il tua le roi et s’empara ce faisant du pouvoir. Supposons à présent qu’il existe deux anneaux de ce genre, l’un au doigt du juste, l’autre au doigt de l’injuste : il n’y aurait personne, semble-t-il, d’assez résistant pour se maintenir dans la justice et avoir la force de ne pas attenter aux biens d’autrui et de ne pas y toucher, alors qu’il aurait le pouvoir de prendre impunément au marché ce dont il aurait envie, de pénétrer dans [360c] les maisons pour s’unir à qui lui plairait, et de tuer les uns, libérer les autres de leurs chaînes selon son gré, et d’accomplir ainsi dans la société humaine tout ce qu’il voudrait, à l’égal d’un dieu. S’il se comportait de la sorte, il ne ferait rien de différent de l’autre, et de fait les deux tendraient au même but. On pourrait alors affirmer qu’on tient là une preuve de poids que personne n’est juste de son plein gré, mais en y étant contraint, compte tenu du fait qu’on ne l’est pas personnellement en vue d’un bien : partout, en effet, où chacun croit possible pour lui de commettre l’injustice, il le fait. Car tout homme croit que l’injustice lui est beaucoup plus avantageuse individuellement que la justice, et c’est à juste titre que chacun le pense, comme le soutiendra celui qui expose un argument de ce genre. Si quelqu’un s’était approprié un tel pouvoir et qu’il ne consentît jamais à commettre l’injustice ni à toucher aux biens d’autrui, on le considérerait, parmi ceux qui en seraient avisés, comme le plus malheureux et le plus insensé des hommes.
Platon, La République II
Ainsi, doté du pouvoir d’invisibilité, le berger Gygès commet l’injustice impunément, suggérant que la moralité dépendrait des conséquences externes.
Platon répond que la véritable justice persiste même en l’absence de sanctions, car elle procède d’un équilibre de l’âme, indépendant des contingences matérielles.
Dans le Livre IV de La République, Socrate , à travers la métaphore de la vision, insiste sur la nécessité de « voir avec l’âme » plutôt que par les sens. La justice n’est pas une construction humaine, mais une réalité transcendante qui synthétise l’ordre de la cité et de l’âme.
Socrate utilise la métaphore de la vision pour décrire sa recherche de la justice: « Nous devons dès lors, Glaucon, tels des chasseurs nous placer en cercle autour du fourré et exercer notre vigilance pour éviter que la justice ne nous échappe quelque part et qu’en disparaissant elle ne devienne invisible ».
On en revient à l’allégorie de la caverne… (livre VII) Le philosophe, libéré des chaînes qui le retenaient dans l’obscurité de la caverne, marche jusqu’au dehors, où il contemple à l’œil nu la lumière lui permettant de connaître la vérité du monde intelligible ; lumière à laquelle n’ont pas accès ceux restés prisonniers. Socrate, explique alors que « [l]a connaissance et la vérité, il est juste de penser qu’elles sont, comme la lumière et la vue, semblables au soleil dans le monde visible ». Il est donc logique que la formation des philosophes gardiens de la cité idéale aura pour but de les « forcer, en relevant la vision de leur âme, à porter leur regard en direction de ce qui procure à toute chose la lumière : en contemplant le bien lui-même et en ayant recours à lui comme à un modèle »
La métaphore de l’étincelle qu’utilise Platon pour décrire la saisie de la justice par Socrate « Peut-être si nous examinons l’un [la cité] dans son rapport à l’autre [l’âme individuelle] et si nous les frottons ensemble, nous ferons alors, comme à partir d’un briquet, jaillir la justice. Une fois qu’elle sera devenue une lumière évidente, nous la saisirons pour nous l’approprier ». La connaissance se trouve ainsi identifiée à une lumière qui jaillit, « une lumière évidente » ; la justice apparaît bien ainsi comme une forme intelligible.
Platon rejette l’égalité démocratique au profit d’une justice proportionnelle, où chacun occupe la place correspondant à ses aptitudes naturelles. Cette méritocratie assure l’efficacité collective : les philosophes gouvernent par sagesse, les gardiens protègent par courage, et les producteurs contribuent par tempérance. L’injustice survient lorsqu’un cordonnier aspire à gouverner ou qu’un dirigeant cède à ses désirs. La justice sociale émerge lorsque chaque classe remplit sa fonction propre (τὸ αὑτοῦ πράττειν), sans empiéter sur les autres. Cette harmonie repose sur une sélection méritocratique : les individus sont affectés à leur rôle selon leurs capacités innées, identifiées par un système éducatif rigoureux
Dans La République (Livre III), Platon introduit le mythe des métaux pour légitimer cette hiérarchie : Les dirigeants ont de l’or dans l’âme, les guerriers de l’argent, et les producteurs du bronze ou du fer.
« – Il y avait, en effet, dis-je, [415a] de bonnes raisons. Mais écoute néanmoins la suite de l’histoire : “Vous qui faites partie de la cité, vous êtes tous frères, leur dirons-nous en poursuivant l’histoire, mais le dieu, en modelant ceux d’entre vous qui sont aptes à gouverner, a mêlé de l’or à leur genèse ; c’est la raison pour laquelle ils sont les plus précieux. Pour ceux qui sont aptes à devenir auxiliaires, il a mêlé de l’argent, et pour ceux qui seront le reste des cultivateurs et des artisans, il a mêlé du fer et du bronze. Dès lors, du fait que vous êtes tous parents, la plupart du temps votre progéniture sera semblable à vous, mais il pourra se produire des cas où [415b] de l’or naîtra un rejeton d’argent, et de l’argent un rejeton d’or, et ainsi pour toutes les filiations entre eux. Aussi le dieu prescrit-il d’abord et avant tout à ceux qui gouvernent d’être les excellents gardiens des rejetons comme de personne d’autre, et de ne rien protéger avec autant de soin qu’eux, en tenant compte de ces métaux qui ont été mélangés à leurs âmes […] »
Platon, La République, Livre III
Platon définit donc le mérite par :
C’est aussi pourquoi l’éducation est essentielle dans la conception platonicienne de la justice. Elle permet d’abord d’identifier la nature de chacun (or, argent, bronze) pour déterminer sa fonction dans la cité. Ensuite, elle forme chaque individu à exercer excellemment sa fonction propre. Pour les philosophes-rois, l’éducation culmine dans la dialectique qui leur permet d’accéder à la connaissance du Bien, source de toute justice. L’éducation vise aussi à harmoniser les parties de l’âme : la gymnastique fortifie le courage, la musique adoucit les désirs, et les mathématiques préparent la raison à la contemplation des Idées. Sans éducation appropriée, les individus ne peuvent ni connaître leur place juste, ni l’occuper correctement.
Pour Platon, la justice est indissociable du bonheur. Elle est, dans l’âme humaine comme dans la Cité, une notion politico-morale essentielle, sans laquelle il ne pourrait y avoir ni harmonie ni ordre. Une âme harmonieuse, où la raison domine les appétits, jouit d’une santé spirituelle supérieure à toute richesse matérielle. Inversement, l’injustice corrompt l’âme, engendrant désordre et souffrance, même si l’individu accumule les biens externes.
Contre les sophistes qui réduisent le bonheur à la satisfaction des désirs ou au pouvoir, Platon affirme que celui-ci ne réside pas dans les plaisirs éphémères, mais dans l’ordre rationnel de l’âme. Un tyran apparemment heureux est en réalité esclave de ses passions, ce qui engendre un conflit interne et une corruption de l’âme.
Dans le Livre II de La République, Glaucon conteste la valeur intrinsèque de la justice en invoquant le mythe de l’anneau de Gygès : un berger devenu invisible commet l’injustice impunément. (Voir ci-dessus)
Platon répond que même si l’injuste échappe aux sanctions externes, son âme désordonnée le rend fondamentalement malheureux. La justice, comme harmonie, est un bien en soi, indépendant des conséquences matérielles.
PLATON, Gorgias
473b-474a
Socrate : J’ai dit que commettre l’injustice était pire que la subir.
Polos[1] : Oui, parfaitement .
Socrate : Mais toi, tu dis qu’il est pire de la subir.
Polos : Oui. Socrate : Puis, j’ai dit que les êtres qui agissent mal sont malheureux, et là, tu m’as réfuté.
Polos : Ah ça oui, par Zeus !
Socrate : Disons plutôt, Polos, que tu penses m’avoir réfuté
Polos : Je pense que je t’ai vraiment réfuté.
Socrate : Peut-être. En tout cas, tu soutiens que les hommes qui commettent l’injustice sont heureux, à condition de n’être pas punis.
Polos : Oui, c’est tout-à-fait exact.
Socrate : Or moi j’affirme qu’ils sont alors les plus malheureux des hommes ; tandis que les coupables qui sont punis sont, eux, moins malheureux. Veux-tu aussi réfuter cette déclaration ?
Polos : Ah oui, il faut dire que cette déclaration est encore plus difficile à réfuter que la première, Socrate !
Socrate : Difficile, non, Polos, impossible plutôt : on n’a jamais réfuté ce qui est vrai.
Polos : Qu’est-ce que tu racontes ? Si un homme est pris alors qu’il complote injustement contre son tyran ; et si, fait prisonnier, on lui tord les membres, on mutile son corps, on lui brûle les yeux, on lui fait subir toutes sortes d’atroces souffrances, et puis, si on lui fait voir sa femme et ses enfants subir les mêmes tortures, et après cela, pour finir, si on le crucifie et on le fait brûler vif, tout enduit de poix, est-ce que cet homme sera plus heureux comme cela que s’il avait pu s’échapper, s’il était devenu tyran et s’il avait passé sa vie à commander dans la cité, en faisant ce qui lui plaît, en homme envié et aimé par les citoyens comme par les étrangers ! Voilà ce qui est impossible à réfuter, d’après toi !
Socrate : Tu me donnes la chair de poule avec ton monstre, mon brave, et pourtant tu ne me réfutes pas (…). Mais au fait, rappelle-moi juste un détail. N’as-tu pas dit : “alors qu’il complote injustement contre son tyran” ?
Polos : Oui, je l’ai dit.
Socrate : Alors comme cela, il ne sera pas plus heureux dans un cas que dans l’autre : ni s’il s’empare injustement de la tyrannie ni s’il est puni. En effet, si, de deux hommes, l’un agissait mal et l’autre était puni, ils seraient aussi malheureux l’un que l’autre, et aucun des deux ne saurait être plus heureux ; toutefois le plus malheureux est celui qui a pu s’échapper et devenir tyran”.
PLATON, Gorgias 473b-474a
[1] Polos : Disciple du célèbre sophiste Gorgias, il incarne une jeunesse impétueuse et confiante dans le pouvoir de la parole, mais aussi une pensée superficielle que Socrate s’emploie à déconstruire.
Pour Platon, l’injustice est une maladie de l’âme comparable à un déséquilibre corporel. Seul un traitement philosophique – l’éducation à la vertu et la contemplation du Bien – peut restaurer l’harmonie et garantir le bonheur.
La justice platonicienne sert à instaurer et à préserver un ordre immuable dans la société. Pour Platon, c’est un bien…Mais ce n’est pas l’avis de tous !
La méritocratie platonicienne repose donc sur l’idée que chaque individu doit occuper la fonction qui correspond à ses aptitudes naturelles et à l’éducation reçue. Platon divise la société en trois classes (producteurs, gardiens-auxiliaires et philosophes-rois) selon les qualités de l’âme qui prédominent chez chacun. Le mérite est donc lié à la nature intrinsèque de chaque individu, révélée et développée par l’éducation. Ce système vise à placer « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut » pour réaliser la justice dans la cité.
Mais cette méritocratie repose sur des critères anti démocratiques : un déterminisme biologique (la hiérarchie des métaux) « noble mensonge » qui justifie les inégalités sociales en attribuant des qualités innées. C’est vouloir faire passer pour naturelle une hiérarchie sociale qui est en réalité calculée, construite. Elle rend improbable, voire impossible la mobilité sociale entre les classes et ne reconnait pas les désirs individuels. Et enfin un système éducatif rigide…
Selon Aristote dans La Politique, la principale faiblesse du système platonicien concernant l’organisation sociale, c’est l’unité excessive de la cité idéale de Platon. Il considère que la suppression de la famille et de la propriété privée pour les gardiens, ainsi que la rigidité du système des trois classes, ne tient pas compte de la diversité naturelle de la société humaine. Pour Aristote, la cité platonicienne est trop uniforme et ne respecte pas la pluralité constitutive de toute communauté politique.
John Rawls critique l’idée même de « mérite naturel » en soulignant que les talents naturels résultent d’une « loterie naturelle » moralement arbitraire. Appliquée au système platonicien, cette critique souligne l’injustice de fonder une hiérarchie sociale sur des capacités innées dont les individus ne sont pas responsables. La distinction platonicienne entre les âmes d’or, d’argent et de bronze reposerait ainsi sur un hasard biologique que Rawls considérerait comme une base injuste pour la distribution des avantages sociaux. Pour Rawls, une société juste devrait compenser plutôt que renforcer ces inégalités naturelles, contrairement à ce que propose Platon.
Karl Popper critique le système platonicien comme un modèle de société « fermée » et totalitaire. Il dénonce notamment plusieurs aspects qui s’appliquent à la méritocratie platonicienne:
Pour Popper, cette conception méritocratique nie la possibilité d’une « société ouverte » fondée sur la critique rationnelle et l’amélioration progressive.
Pour Aristote, la justice est la vertu complète (Éthique à Nicomaque, V) car elle régit les relations sociales et individuelles.
Aristote distingue la justice générale (ou universelle), qui correspond au respect des lois et au bien commun, de la justice particulière, qui concerne plus spécifiquement l’égalité et les rapports entre individus. La justice générale embrasse toutes les vertus dans leur dimension sociale.
Dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote élabore une théorie de la justice qui articule vertu morale, équilibre social et correction des inégalités. Sa pensée se déploie autour de quatre piliers :
La justice distributive, qualifiée par Aristote de « première espèce de justice particulière », régit la répartition des biens, honneurs et charges au sein de la cité. Contrairement à l’égalité arithmétique, elle repose sur une égalité géométrique ou proportionnelle : le mérite est évalué selon des critères variables : vertu, richesse, liberté…en fonction du régime politique
Lorsque deux citoyens (A et B) contribuent à la cité dans une proportion de 2:1, leur récompense doit être distribuée conformément à cette proportion. Par exemple, si le citoyen A reçoit 100 unités, le citoyen B devrait recevoir 50 unités.
« Il y a injustice quand on a trop ou trop peu, contrairement à la proportion géométrique. »
L’injustice survient quand la distribution des biens, honneurs ou charges ne respecte pas la proportion basée sur le mérite. Avoir « trop » signifie recevoir plus que ce que notre mérite justifie, tandis qu’avoir « trop peu » signifie être privé d’une part proportionnelle à ce mérite. L’injustice est donc une rupture de l’égalité proportionnelle qui doit régir les relations entre les personnes.
2. Justice Commutative : vise à rétablir l’égalité après un préjudice
La justice commutative (ou corrective) concerne
3. Le Juste Milieu : La Vertu comme Équilibre
Pour Aristote, le « juste milieu » signifie une proportion adéquate. Dans le cas de la justice, ce juste milieu est une médiation entre avoir trop et avoir trop peu, entre le gain injuste et la perte injuste. Il s’agit d’obtenir ce qui nous revient selon notre mérite et selon des principes d’égalité proportionnelle, ni plus ni moins. Le juste milieu n’est donc pas une moyenne statistique, mais « l’excellence éthique ». Appliqué à la justice , cela consiste à éviter à la fois la rigidité légaliste et l’arbitraire émotionnel en recherchant l’équité.
Le législateur idéal doit donc :
L’Équité: Correctif de la Loi
Aristote définit l’équité comme « un correctif de la loi là où celle-ci est défaillante en raison de son universalité ». Elle comble les lacunes des textes en considérant :
L’intention est fondamentale dans la théorie aristotélicienne de la justice. Aristote distingue les actes justes et injustes en fonction non seulement de leurs conséquences mais aussi de l’intention de l’agent. Un acte n’est pleinement injuste que s’il est commis intentionnellement, avec connaissance de cause.
Il distingue actes injustes (adika) et caractère injuste (adikia): on peut commettre un acte injuste par accident ou par ignorance sans être injuste. Cette distinction permet à Aristote de concevoir différents degrés de responsabilité dans les actes injustes et d’introduire des circonstances atténuantes dans l’évaluation morale et juridique des actions.
Contrairement à la loi écrite, rigidifiée par sa généralité, l’équité :
Aristote, Sur la justice – Ethique à Nicomaque , Livre V
« Chaque fois donc que la loi se prononce en termes généraux et que survient un cas qui, sur ce point, fait exception à la règle générale, il est alors normal, dans les limites du détail que laisse de côté le législateur et que n’a pas touché sa formule trop simple, de corriger le défaut : c’est précisément le correctif que le législateur lui-même aurait apporté explicitement s’il avait été dans cette situation et qu’il aurait précisé, s’il avait su, dans un article de loi.Voilà pourquoi ce qui est équitable est juste et vaut mieux qu’une certaine forme du juste. Ce n’est pas mieux toutefois que ce qui est juste tout simplement, mais mieux que la faute entraînée par la formulation trop simple.Et voilà quelle est la nature de l’équitable : un correctif de la loi dans les limites où elle est en défaut en raison de son universalité.Car un motif qui fait encore que tout n’est pas régi par la loi, c’est qu’en certains cas, il est impossible de légiférer ; ce qui entraîne le besoin d’un décret. L’indéterminé a en effet pour règle un outil lui aussi indéterminé, tout comme la construction à Lesbos a pour règle règle le plomb. D’après la forme de la pierre en effet, cette règle de plomb se modifie et ne reste pas identique. De même, le décret s’adapte aux affaires traitées[1].Ainsi donc, on voit ce qui est équitable : c’est ce qui est juste et vaut mieux qu’une certaine forme du juste.Or cela permet de voir aussi qui est l’homme équitable : c’est en effet celui qui est porté à décider et à exécuter ce genre de choses. Autrement dit [1138 a 1], l’individu qui n’épluche pas la loi au mauvais sens du terme, mais incline à accepter moins que son droit, bien qu’il ait le secours de la loi, celui-là est un homme équitable. »
Aristote, Sur la justice – Ethique à Nicomaque , Livre V
[1] « C’est parce que les choses humaines sont changeantes et imprévisibles, autrement dit indéterminées, que les normes qui les régissent doivent elles aussi être partiellement indéterminées. L’aspect courbe des pierres de Lesbos est une bonne image de cette indétermination : de même qu’une règle rigide ne permettrait pas de mesurer (et de comparer) des pierres courbes, de même des lois universelles ne sauraient suffire pour déterminer ce qui est juste dans tous les cas. La règle courbe n’est pour autant qu’une image, puisque le juge équitable ne dispose que de son propre jugement, et d’aucune règle extérieure, pour déterminer ce qui est juste et équitable. Dans son cas, seul le décret ou l’arrêt, en tant qu’il s’adapte aux cas particuliers, rend possible le jugement équitable, qui est juste, et plus juste que le juste légal. »
Extrait de Aristote, Sur la justice – Ethique à Nicomaque Livre V
L’Architecture d’une Justice Intégrative (Terme qui n’est pas d’Aristote)
Aristote propose une vision où :
Cette architecture est nécessaire en ce que l’être humain est un « animal politique » qui ne réalise sa nature que dans une communauté structurée par des principes à la fois stables et adaptables.
Selon l’utilitarisme, le principe fondamental de la justice est la maximisation du bien-être ou du bonheur collectif.
Est juste ce qui produit la plus grande somme de bonheur ou d’utilité pour l’ensemble des individus concernés.Jeremy Bentham affirme : « Le plus grand bonheur du plus grand nombre est la mesure du juste et de l’injuste. » Cette conception relie justice et utilité ET expose le principe d’utilité comme fondement de la justice. Pour lui, la valeur morale d’une action ou d’une règle se mesure exclusivement à ses conséquences sur le bonheur collectif. La justice n’est donc pas fondée sur des principes a priori mais se mesure aux conséquences des actions et des institutions sur le bien-être global de la société.
Cette conception fait de l’utilité (le bonheur général) le critère unique du juste, s’opposant aux conceptions qui fondent la justice sur des principes absolus indépendants des conséquences. L’utilitarisme ne reconnaît pas nécessairement de droits fondamentaux inviolables, ne s’appuie pas sur des principes moraux a priori , et peut parfois sacrifier la dignité individuelle au profit du bien-être collectif .
La conception utilitariste de la justice peut entrer en conflit avec la notion de justice comme respect des droits individuels car elle autorise théoriquement la violation des droits d’une personne si cela produit un gain net de bonheur collectif. Par exemple, l’utilitarisme pourrait justifier de sacrifier un innocent pour prélever ses organes et sauver cinq patients en attente de greffe. Ce cas illustre la tension fondamentale entre une justice fondée sur les conséquences (utilitarisme) et une justice fondée sur des droits inaliénables. L’utilitarisme risque de réduire l’individu à une simple unité dans un calcul global, négligeant la séparation des personnes et leur valeur intrinsèque.
Pour prendre un autre cas concret imaginons que la construction d’une centrale électrique puisse fournir de l’énergie coûteuse à des milliers d’habitants, mais qu’en contrepartie cette construction aggrave la pollution de l’environnement, maltraitant la santé d’un petit village de 50 habitants. Du point de vue utilitariste la construction de la centrale serait juste car elle maximiserait le bonheur du plus grand nombre (des milliers de personnes bénéficieraient d’énergie peu coûteuse contre seulement 50 personnes qui en subiraient les conséquences négatives). Cependant, cette décision soulève des problèmes moraux importants : elle sacrifie le bien-être d’une minorité, ne respecte pas leur droit à un environnement sain, et traite de façon inégale les citoyens…
Sujet : Dans quelle mesure la recherche du « bonheur du plus grand nombre » peut-elle constituer un fondement satisfaisant pour penser la justice ?
La Conception Moderne de la Justice selon John Rawls :
Fondements et Principes
John Rawls (1921-2002), philosophe américain, révolutionne la pensée politique moderne avec sa Théorie de la justice(1971). Il propose une approche NOUVELLE, centrée sur l’équité et l’impartialité, visant à concilier liberté et égalité dans les sociétés démocratiques. Ses concepts clés :
La position originelle est une situation hypothétique imaginée par Rawls dans laquelle des individus rationnels se réunissent pour déterminer les principes fondamentaux qui régiront leur société. C’est un dispositif de représentation où les individus ignorent leur position sociale, leurs talents et leurs conceptions du bien, ce qui les conduit à choisir des principes justes et impartiaux.
C’est un Contrat Social Hypothétique, une expérience de pensée remplaçant l’« état de nature » qu’on trouve dans les théories classiques du contrat social chez Hobbes ou chez Rousseau par exemple.
Le voile d’ignorance est la condition dans laquelle sont placés les individus dans la position originelle. Il leur empêche de connaître leur place dans la société, leurs talents, leur classe sociale, leur sexe, leur race, etc. Le voile d’ignorance vise ainsi à neutraliser les biais égoïstes. Son rôle est de garantir l’impartialité dans le choix des principes de justice, car ne sachant pas quelle sera leur position dans la société, les individus choisiront des principes équitables pour tous. Ainsi, ignorant s’ils seront riches ou pauvres, les individus choisiront des règles protégeant les plus vulnérables.
Les Deux Principes de Justice : Liberté, Égalité et Maximin
Chaque personne doit avoir un droit égal à un système le plus étendu possible de libertés fondamentales (Droit de vote, liberté d’expression, conscience, propriété) , compatible avec un système similaire de libertés pour tous. Ces libertés sont absolues et ne peuvent être restreintes sauf pour protéger d’autres libertés
Les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que :
Principe de Différence
Les inégalités socio-économiques sont justes seulement si elles bénéficient aux plus défavorisés et quand elles sont liées à des fonctions ouvertes à tous dans des conditions d’égalité des chances
Pae exemple, un système fiscal inégalitaire est acceptable si les recettes améliorent l’éducation et la santé des plus pauvres ou par des impôts progressifs finançant des services publics
La Justice comme Équité : Une Théorie Intégrative
Rawls affirme la priorité du juste sur le bien : c’est-à-dire que les principes de justice qui définissent les droits et libertés fondamentaux ne peuvent pas être sacrifiés ou violés au nom d’une conception particulière du bien. Les droits individuels fondamentaux sont inviolables et ne peuvent être restreints qu’au nom d’autres droits fondamentaux. Il insiste sur l’inviolabilité de chaque personne, même si cela ne maximise pas le bien-être global.
En ce sens, Rawls s’oppose à l’utilitarisme qui défend le plus grand bonheur du plus grand nombre, même si cela implique le sacrifice des droits de certains individus. Pour Rawls, la justice ne permet pas de sacrifier les droits fondamentaux de certains individus au profit du bien-être collectif.
Rawls identifie des biens premiers universellement désirables, indépendants des conceptions individuelles du bonheur :
Ces biens permettent à chacun de poursuivre ses projets de vie, quels qu’ils soient.
Amartya Sen remet en question l’approche rawlsienne des « biens premiers » sur les « capabilités » des individus
Sen critique l’approche des « biens premiers » de Rawls comme étant insuffisante car elle ne prend pas en compte la diversité des capacités des individus à convertir ces biens en libertés réelles. Selon Sen, ce qui compte n’est pas seulement la possession de ressources, mais la capacité effective (capabilité) des personnes à les utiliser pour mener la vie qu’elles valorisent. Deux personnes disposant des mêmes biens premiers peuvent avoir des capabilités très différentes selon leur état de santé, leur éducation, leur environnement social, etc. La théorie de Rawls néglige cette conversion des ressources en libertés réelles, ce qui la rend insuffisante pour évaluer la justice sociale.
Selon Robert Nozick, le principe de différence de Rawls pose problème du point de vue des droits de propriété.
Selon Nozick, le principe de différence implique une redistribution constante des richesses qui viole les droits de propriété légitimement acquis. Pour Nozick, la justice ne réside pas dans un schéma distributif particulier (comme celui proposé par Rawls), mais dans le respect des droits de propriété. Si une personne a légitimement acquis ses biens (sans fraude ni violence), alors elle y a droit, même si cela crée des inégalités. La redistribution forcée des richesses constituant le principe de différence représenterait donc une violation des droits fondamentaux des individus.
Selon les critiques marxistes, Rawls néglige les rapports de production et les structures économiques fondamentales du capitalisme comme source d’injustice. Sa théorie accepte le cadre capitaliste et cherche simplement à en atténuer les effets par la redistribution, sans remettre en question les mécanismes d’exploitation et d’aliénation inhérents au système capitaliste. Pour les marxistes, Rawls traite les symptômes (les inégalités) mais pas la cause (le mode de production capitaliste).
Même si on peut reprocher à la théorie de Rawls son caractère trop abstrait face à la complexité des inégalités mondiales et l’ampleur des inégalités économiques actuelles, sa théorie de Rawls reste pertinente pour penser la justice sociale au XXIe siècle offre une base de réflexion solide qui peut être adaptée et le voile d’ignorance reste un outil critique pertinent
Faites ce QUIZ pour vérifier votre compréhension des idées de RAWLS sur la justice
PUIS-JE FAIRE DEPENDRE LE JUSTE DE MON INTERET ?
Emmanuel Kant
« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre »
Cette formulation se fonde directement sur la conception kantienne de la dignité de la personne humaine : respecter l’autre c’est ne pas le considérer seulement comme un instrument, une chose, un moyen, un objet mais nous devons l’envisager aussi comme une fin en soi (par exemple on ne peut, en médecine, moralement utiliser une personne qu’avec son consentement et respecter en elle sa personne humaine).