LA LOI

SOMMAIRE

Cette deuxième partie du cours (après la liberté) s’interrogera sur le rapport entre liberté, Etat,  société,  loi, Justice…Et cherchera à savoir s’ils sont  un garant ou une entrave à ma liberté? 

Dans une société organisée, personne ne peut faire ce qu’il veut, comme il veut…Chacun est dans l’obligation de respecter la loi. Dans le cas contraire, la loi se chargera aussi de sanctionner. Bref, chacun doit rester dans la légalité, c’est-à-dire dans le cadre définit par la loi. C’est ce qui en théorie assure la liberté de chacun. Sans la loi, c’est le droit du plus fort.

Mais je suis également libre de refuser de faire tout ce qu’elle n’ordonne pas. Ou de désobéir si ce qu’elle m’ordonne n’est pas légitime. Il y a même des cas ou l’état n’est pas le garant de ma liberté : c’est le cas de l’état totalitaire.

LA LOI EST-ELLE LA LOI DU PLUS FORT ?

La Fontaine (XVII°)

Dans cette fable de La Fontaine, le loup utilise l’arbitraire et la loi du plus fort… pour dévorer sa proie ! Cette fable illustre la notion de loi du plus fort qui ne repose sur aucune justification défendable autre que…la force .

Le Loup et l’agneau

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
– Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage
Tu seras châtié de ta témérité.
– Sire, répond l’agneau, que Votre Majesté –
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,

Plus de vingt pas au-dessous d’elle,
Et que par conséquent, en aucune façon
Je ne puis troubler sa boisson.

– Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
– Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’agneau, je tète encor ma mère.
– Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
– Je n’en ai point.
– C’est donc quelqu’un des tiens:
Car vous ne m’épargnez guère.
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus au fond des forêts
Le loup l’emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

Jean de la Fontaine, Fables (XVII°)   

La Route de Cormac McCarthy illustre ce que pourrait être un monde sans loi…

La loi n’est parfois que  la situation  imposée par le plus fort. Mais est-ce encore la loi ? Cette loi là n’a ni valeur juridique ni valeur morale. Pour que l’on parle de loi, il faudrait alors que ceux qui sont sous la loi du plus fort aient accepté de l’être, c’est-à-dire aient donné leur consentement à la soumission (cf. Hobbes et son contrat de soumission). 

Si, au contraire, cette soumission est seulement subie mais n’est  ni acceptée ni reconnue, le pouvoir qui s’exerce est pleinement injuste: établi et maintenu par la violence, il est privé de toute légitimité. Et il sera alors juste de s’y opposer.

De plus, un pouvoir qui ne repose que sur la menace et la contrainte est fort un certain temps…Mais il finit par se heurter à une force plus grande, qui le renverse ; un tel pouvoir est nécessairement   constamment menacé et généralement obligé à de plus en plus de violence .

LES LOIS SONT-ELLES NECESSAIRES ?

Elles le sont pour au moins trois raisons : 

1-

 L’homme est un “animal politique” (Aristote), il est fait pour vivre au milieu des autres. Mais peut-il vivre avec les autres sans que cette vie communautaire soit encadrée par des lois ? Surtout si comme Machiavel ou Hobbes on le considère comme naturellement mauvais, prêt à faire le mal dés que l’occasion se présente…

Machiavel dans Le Prince : “les hommes ne font le bien que forcément; mais que dès qu’ils ont le choix et la liberté de commettre le mal avec impunité, ils ne manquent de porter partout la turbulence et le désordre.”

2-

 La nature ne connait ni l’égalité ni l’équité. Les lois humaines peuvent rééquilibrer les inégalités naturelles pour un monde plus juste… Voir Rousseau :

« Au lieu de détruire l’égalité naturelle, le pacte fondamental substitue, au contraire, une égalité morale et légitime à ce que la nature avait pu mettre d’inégalité physique entre les hommes, et que, pouvant être inégaux en force ou en génie, ils deviennent tous égaux par convention et de droit. » Rousseau, Du Contrat social, L.I, ch.IX

3-

 Les lois m’imposent des limites et des devoirs et en ce sens peuvent limiter ma liberté mais comme elles imposent ces mêmes limites aux autres, elles me protègent de la loi du plus fort.

Sinon, dans un monde post-apocalyptique comme celui décrit par exemple par  Cormac McCarthy dans La Route, il n’y a plus de loi et “l’homme devient un loup pour l’homme”.

 

 

 

Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778)

La loi qui repose sur la force ne sert que le droit du plus fort. Elle n’a pas de légitimité (pas de valeur universelle ; elle n’est pas au service du bien commun.

Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit, et l’obéissance en devoir. De là le droit du plus fort ; droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe. Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance physique ; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c’est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ? (…)Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu’on n’est obligé d’obéir qu’aux puissances légitimes.

Rousseau, Du Contrat social, L. I, ch. III, Du droit du plus fort.

LES LOIS RENDENT-ELLES LES HOMMES LIBRES ?

Considérer la liberté comme la possibilité de faire tout ce que l’on veut reviendrait à se laisser mener par nos pulsions, nos passions sans la moindre considération pour autrui. Mais la vie deviendrait vite impossible et ne serait vraiment libre que le pire des hommes…

 Il faut donc tenter de comprendre la liberté dans sa relation avec la loi.  La liberté est alors une forme d’obéissance acceptée, encadrée par la loi. Et cette liberté ne peut évidemment être absolue.   Le pouvoir aura donc besoin de légalité et de légitimité. Pour cela, il devra reposer sur la loi commune, dont le principe est accepté par tous et substituer la violence des hommes à la force de la loi. 

C’est un contrat qui doit être établi entre les membres d’une société. Mais ce contrat peut prendre différentes formes.   

DES CONTRATS SOCIAUX ...

LE CONTRAT : tente de définir théoriquement la légitimité de l’Etat. La question que pose le contrat et à laquelle il tente de répondre est : A quelles conditions des hommes libres accepteraient-ils d’obéir au pouvoir ?

Contrat social :

Accord, implicite ou autre, imaginé par les philosophes de la politique dans le souci d’expliquer la relation entre  le consentement des gouvernés et le pouvoir de l’État. 

Ces “contrats” sont en fait des façons d’imaginer le lien entre gouvernés et gouvernants. En voici 3…

Le contrat de
Thomas HOBBES (1588 – 1679)

Philosophe anglais. Son œuvre majeure, Le Léviathan, eut une influence considérable sur la philosophie politique moderne.   

Hobbes considère que l’état de nature est un état de guerre ; c’est « l’horrible état de guerre » car « l’homme est un loup pour l’homme ».  

Aussi, pour lui, toute forme d’Etat sera préférable à cet état de nature. Hobbes propose donc un modèle dans lequel l’individu renonce à sa liberté en faveur de sa sécurité. Le chef sera le garant de cette sécurité mais en échange, il décidera seul des choix de tous.

D’elles-mêmes en effet, en l’absence d’un pouvoir qui les fasse observer par l’effroi qu’il inspire, les lois de nature (comme la justice, l’équité, la modération, la pitié, et d’une façon générale, faire aux autres ce que nous voudrions qu’on nous fit) sont contraires à nos passions naturelles, qui nous portent à la partialité, à l’orgueil, à la vengeance, et aux autres conduites de ce genre. Et les conventions, sans le glaive, ne sont que des paroles, dénuées de la force d’assurer aux gens la moindre sécurité. C’est pourquoi, nonobstant les lois de la nature ( …), si aucun pouvoir n’a été institué, ou qu’il ne soit pas assez grand pour assurer notre sécurité, tout homme se reposera (chose pleinement légitime) sur sa force et sur son habileté pour se garantir contre tous les autres.

 Thomas Hobbes, Leviathan[1], Editions Sirey

 

[1] Le Leviathan est un monstre marin qui terrifie les hommes…Tel doit être le chef ! Seule solution…

 

L’état de société est rendu nécessaire par l’insécurité de l’état de nature.

La seule façon d’ériger un tel pouvoir (…) apte à défendre les gens de l’attaque des étrangers, et des torts qu’ils pourraient se faire les uns aux autres, et ainsi à les protéger de telle sorte que par leur industrie et par les productions de la terre, ils puissent se nourrir et vivre satisfaits, c’est de confier tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme, ou à une seule assemblée, qui puisse réduire toutes leurs volontés, en une seule volonté. Cela revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée, pour assumer leur personnalité ; et que chacun s’avoue et se reconnaisse comme l’auteur de tout ce qu’aura fait ou fait faire, quant aux choses qui concernent la paix et la sécurité commune, celui qui a ainsi assumé leur personnalité, que chacun par conséquent soumette sa volonté et son jugement à la volonté et au jugement de cet homme ou de cette assemblée.   (…)  ….Le dépositaire de cette personnalité est appelé SOUVERAIN, et l’on dit qu’il possède le pouvoir souverain ; tout autre homme est son SUJET.

 

Thomas Hobbes, Leviathan, Editions Sirey

 

Le contrat proposé par Hobbes est un contrat de SOUMISSION. 

Pour Hobbes, l’homme est égoïste par nature(égoïsme psychologique) donc pas de pouvoir sans forceet dans le cas contraire, retour à la loi du plus fort.  

  • La soumission doit être totale;
  • Le maître lui-même n’est pas lié par ce contrat (son pouvoir est absolu).

La sécurité, la paix sont donc à ce prix : j’accepte une soumission totale  et j’accorde un pouvoir absolu à mon chef. 

L’état c’est « l’homme-Dieu pour l’homme ». Tout repose sur l’autorité du chef : « Sans le glaive , les pactes ne sont que des mots ». 

 La seule chose que Hobbes exige des citoyens, c’est l’obéissance. Mais en contrepartie, les citoyens gagnent la sécurité et le respect de leurs biens.

Le contrat de John LOCKE (1632 – 1704)

Philosophe anglais, l’un des principaux précurseurs des Lumières. Sa théorie politique est l’une de celles qui fondèrent le libéralisme

L’état de nature selon Locke

Pour Locke, l’état de nature est un état  de liberté raisonnable. L’homme à l’état de nature jouit de deux pouvoirs et d’un droit fondamental :

  • Le pouvoir d’assurer sa propre conservation.
  • Le pouvoir de punir quiconque menace sa vie.

Le droit fondamental de propriété limité à ce qui est nécessaire à sa conservation

“Les hommes se trouvant tous par nature libres, égaux et indépendants, on n’en peut faire sortir aucun de cet état ni le soumettre au pouvoir politique d’un autre, sans son propre consentement.

 La seule façon pour quelqu’un de se départir de sa liberté naturelle (…), c’est de s’entendre avec d’autres pour se rassembler (…). Et lorsqu’un certain nombre d’hommes ont consenti à former une communauté ou un gouvernement, ils deviennent, par là-même, indépendants et constituent un seul corps politique, où la majorité a le droit de régir et d’obliger les autres (…).

 Ainsi, ce qui donne naissance à une société politique n’est autre que le consentement par lequel un certain nombre d’hommes libres, prêts à accepter le principe majoritaire, acceptent de s’unir pour former un seul corps social. C’est cela seulement qui a pu ou pourrait donner naissance à un gouvernement légitime.”

John Locke,

Deux Essais sur le pouvoir civil, 1690. 

“Les hommes se trouvant tous par nature libres, égaux et indépendants, on n’en peut faire sortir aucun de cet état ni le soumettre au pouvoir politique d’un autre, sans son propre consentement.

 La seule façon pour quelqu’un de se départir de sa liberté naturelle (…), c’est de s’entendre avec d’autres pour se rassembler (…). Et lorsqu’un certain nombre d’hommes ont consenti à former une communauté ou un gouvernement, ils deviennent, par là-même, indépendants et constituent un seul corps politique, où la majorité a le droit de régir et d’obliger les autres (…).

 Ainsi, ce qui donne naissance à une société politique n’est autre que le consentement par lequel un certain nombre d’hommes libres, prêts à accepter le principe majoritaire, acceptent de s’unir pour former un seul corps social. C’est cela seulement qui a pu ou pourrait donner naissance à un gouvernement légitime.”

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La liberté naturelle de l’homme, c’est de ne reconnaître sur terre aucun pouvoir qui lui soit supérieur, de n’être assujetti à la volonté ou à l’autorité législative de personne, et de n’avoir pour règle que la seule loi naturelle. La liberté de l’homme en société, c’est de n’être soumis qu’au seul pouvoir législatif, établi d’un commun accord dans l’État, et de ne reconnaître aucune autorité ni aucune loi en dehors de celles que crée ce pouvoir, conformément à la mission qui lui est confiée (…).

Chaque fois qu’un certain nombre d’hommes, s’unissant pour former une société, renoncent, chacun pour son compte, à leur pouvoir de faire exécuter la loi naturelle et le cèdent à la collectivité, alors et alors seulement naît une société politique ou civile

(…). La grande fin pour laquelle les hommes entrent en société, c’est de jouir de leurs biens dans la paix et la sécurité. Or, établir des lois dans cette société constitue le meilleur moyen pour réaliser cette fin. Par suite, dans tous les États, la première et fondamentale loi positive est celle qui établit le pouvoir législatif. Ce pouvoir législatif constitue non seulement le pouvoir suprême de l’État, mais il reste sacré et immuable entre les mains de ceux à qui la communauté l’a une fois remis (…). Dès que cesse la loi, la tyrannie commence, s’il y a transgression au détriment d’autrui. Dès lors, tout personnage au pouvoir qui abuse de l’autorité concédée par la loi cesse par là même d’être un magistrat. Et puisqu’il agit sans autorité, on peut lui résister comme à tout homme qui empiète par la force sur les droits d’un autre.”

 John Locke, Deux Essais sur le pouvoir civil, 1690.En clair :

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Pour Locke, l’état de société doit apporter la sécurité qui n’est pas assurée dans l’état de nature

Contrairement à Hobbes, chez Locke, un gouvernement légitime ne peut être absolu.

Qui accepterait spontanément d’abandonner sa liberté et tous ses droits à un seul homme ? Aussi, chez Locke l’autorité vient de la majorité et non de la puissance absolue d’un individu.

 Il s’agit d’un contrat de soumission conditionnel, c’est-à-dire par consentement mutuel et qui peut être révoquée par la majorité si la sécurité n’est pas assurée.

 Dans ce cas,  le pouvoir n’appartient pas à un seul.

La séparation des pouvoirs est nécessaire. Il faut donc :

  • un pouvoir législatif qui promulgue des lois;
  • un pouvoir exécutif qui a le pouvoir de punir

 Cela annonce les principes de la démocratie telle que nous la connaissons.

Le contrat de Jean-Jacques ROUSSEAU (1588 – 1679)

Jean-Jacques Rousseau développe dans Du Contrat social ou Principes du droit politique (1762) une théorie politique révolutionnaire qui cherche à concilier liberté individuelle et ordre collectif. Contrairement à Hobbes ou Locke, Rousseau ne voit pas dans l’État un mal nécessaire, mais une institution capable de réaliser la liberté authentique grâce à un pacte fondé sur la volonté générale. Cette analyse synthétise les principaux éléments de sa pensée, en s’appuyant sur les sources fournies.

  1. De l’État de Nature à la Société Civile : La Nécessité du Pacte

L’État de Nature : Liberté et Innocence Perdues 

Pour Rousseau, l’homme à l’état de nature est libre, égal et bon, vivant dans un équilibre précaire entre ses besoins et les ressources disponibles. Cependant, le développement des facultés humaines (raison, langage) et l’émergence de la propriété privée corrompent cet état, créant des inégalités et des conflits . La société devient alors un « état de guerre » où règne la loi du plus fort, nécessitant un nouveau fondement légitime : le contrat social.

  1. Le Pacte Social :

 

Le pacte social de Rousseau cherche à concilier la liberté naturelle de l’homme avec la nécessité de vivre en société. Il faut « trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant. »

3. La Volonté Générale : 

La volonté générale est l’expression de l’intérêt commun qui vise le bien public, distincte de la simple somme des volontés particulières. Elle constitue l’âme du pacte social car c’est à elle que chaque citoyen se soumet volontairement,garantissant ainsi que l’homme reste libre en obéissant aux lois qu’il s’est lui-même prescrites collectivement.

Pour Rousseau, seule cette volonté,  indivisible  et  inaliénable , peut légitimer les lois 

  • « La volonté générale peut seule diriger les forces de l’État selon la fin de son institution, qui est le bien commun ».
  • Elle exige un engagement actif des citoyens, rejetant la représentation politique au profit de la démocratie directe.

Le pacte et la liberté

 

Pour Rousseau, le pacte social transforme la liberté naturelle (limitée par la force de l’individu) en liberté civile(garantie par le contrat social). L’homme perd une liberté illimitée mais précaire pour gagner une liberté limitée mais sûre. En obéissant aux lois qu’il a contribué à établir en tant que membre du souverain, l’homme n’obéit qu’à lui-même et reste donc libre. « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. » En participant à l’élaboration des lois à travers la volonté générale, le citoyen devient à la fois sujet (il obéit aux lois) et souverain (il participe à leur création). Ainsi, obéir à ces lois n’est pas une soumission à une autorité extérieure mais un acte de liberté, puisqu’on suit des règles auxquelles on a soi-même consenti. Cette conception transforme la contrainte en autodétermination et fait de l’obéissance civique un acte de liberté.

 

La liberté morale, que Rousseau considère comme la véritable liberté, est acquise grâce au pacte social. Elle consiste à agir selon des règles qu’on s’est soi-même imposées (en tant que partie du corps politique) plutôt que d’être esclave de ses impulsions. Le pacte social permet à l’homme de substituer la justice à l’instinct et de donner à ses actions une moralité qu’elles n’avaient pas auparavant.

Il existe des différences fondamentales entre le pacte social selon Rousseau et celui proposé par Hobbes :

Critiques et limites

  • Démocratie directe impraticable : Rousseau lui-même doute de son applicabilité hors des cités-États.
  • Risque de totalitarisme : La sacralisation de la volonté générale peut justifier l’oppression des minorités, comme le note Hannah Arendt.
  • Négation des droits individuels : Le pacte social subordonne les intérêts privés au collectif, contrairement au libéralisme de Locke.
  • Ambiguïté de la propriété : Bien que Rousseau critique l’accumulation capitaliste, il la légitime comme droit civil, créant une contradiction.

 

Rousseau influencera profondément :

  • La Révolution française : Son concept de souveraineté populaire inspire la Déclaration des droits de l’homme (1789).
  • Les Théories républicaines : L’idée d’autonomie politique comme fondement de la liberté innerve les pensées de Kant et Habermas.
  • Les Débats contemporains : Son rejet de la représentation politique résonne avec les mouvements pour la démocratie participative.

Ainsi, le contrat social rousseauiste reste une tentative audacieuse de concilier liberté et égalité par la souveraineté populaire. Si son idéal de démocratie directe semble irréaliste à grande échelle, sa critique des inégalités et son insistance sur l’engagement citoyen offrent des outils précieux pour repenser la légitimité politique aujourd’hui

Rappel de quelques définitions

1. Volonté générale

: Expression de l’intérêt commun qui vise le bien public

2. Souveraineté

: Pouvoir absolu dirigé par la volonté générale

3. État de nature

: État initial de l’homme avant le contrat social

4. Corps politique

: Personne morale formée par l’union des particuliers

LES LOIS SONT-ELLES TOUJOURS JUSTES ?

« Injustice – Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n’y obéit qu’à cause qu’il les croit justes. C’est pourquoi il lui faut dire en même temps qu’il faut y obéir parce que ce sont les lois, comme il faut obéir aux supérieurs, non pas parce qu’ils sont justes, mais parce qu’ils sont supérieurs. Par là voilà toute sédition prévenue si on peut faire entendre cela et ce que c’est proprement que la justice » 

         Pascal, Pensées

Qu'est-ce qu'une bonne loi ?

Légal et Légitime

Les deux mots ont la même étymologie latine, lex, legis, « la loi », mais ils se distinguent et s’opposent parfois.

La légalité c’est la conformité à la loi (loi d’un pays, à un moment donné): un comportement qui respecte strictement la loi, donc la légalité,  peut être en réalité scandaleux ou immoral, une décision de justice peut être considérée comme injuste.

La légitimité se réfère à une valeur ou à un idéal supérieur à la loi établie. Elle se fonde sur le droit naturel. (Voir ci-dessous)

 Une loi devrait donc être à la fois légale et légitime…

La question de la légitimité se pose notamment dans des moments critiques, lorsque les lois  semblent injustes ou scandaleuses (Gouvernement de Vichy/ esclavage, dictature…). 

Quelques exemples de  lois légales mais pas légitimes…

  1. LE CODE NOIR

Code noir, ou Édit servant de règlement pour le gouvernement et l’administration de la justice, police, discipline et le commerce des esclaves nègres dans la province et colonie de la Louisiane, 1685

Art. 12. Les enfants, qui naîtront des mariages entre les esclaves, seront esclaves, et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves (…)

Art. 15. Défendons aux esclaves de porter aucune arme offensive, ni de gros bâtons, à peine de fouet (…)

Art. 16. Défendons pareillement aux esclaves appartenant à différents maîtres, de s’attrouper le jour ou la nuit, sous prétexte de noces ou autrement, soit chez l’un de leurs maîtres, ou ailleurs (…) à peine de punitions corporelles (…)

Art. 18. Défendons aux esclaves de vendre des cannes à sucre, pour quelque cause, et occasion que ce soit (…) à peine du fouet contre les esclaves (…

Art. 33. L’esclave qui aura frappé son maître, ou la femme de son maître, sa maîtresse, ou le mari de sa maîtresse, ou leurs enfants, avec contusion, ou effusion de sang, sera puni de mort.

Art. 35. Les vols qualifiés, même ceux de chevaux, cavales, mulets, bœufs ou vaches, qui auront été faits par les esclaves ou par les affranchis, seront punis de peines afflictives, même de mort si le cas le requiert.

Art. 38. L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées, et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule; s’il récidive, un autre mois, à compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lys, sur l’autre épaule; et la troisième fois, il sera puni de mort.

Art. 42. Pourront seulement les maîtres, lorsqu’ils croiront que leurs esclaves l’auront mérité, les faire enchaîner, et leurs faire battre de verges ou cordes (…)

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2. LES LOIS DE NUREMBERG

Texte des Lois de Nuremberg, publiées dans le journal officiel du Parti Nazi, le 16 Septembre 1935.

LOI POUR LA PROTECTION DU SANG ALLEMAND ET DE L’HONNEUR ALLEMAND, 15 SEPT. 1935

Pénétré du sentiment que la pureté du sang allemand est la condition nécessaire à la continuité de l’existence du peuple allemand, et inspiré par la volonté inflexible d’assurer pour l’éternité l’existence de la Nation allemande, le Reichstag a adopté à l’unanimité la loi suivante qui se trouve donc par là-même promulguée.

  • 1 1. Les mariages entre Juifs et nationaux de l’Etat allemand ou de même nature, sont interdits. Les mariages néanmoins conclus sont nuls et non avenus, même s’ils ont été conclus à l’étranger pour circonvenir à cette loi.

  1. Les procédures d’annulation ne peuvent amorcées que par le Procureur de l’Etat.
  • 2 Les relations sexuelles hors mariage entre des Juifs et les ressortissants de l’Etat allemand ou de même nature, sont interdites.
  • 3 Les Juifs ne peuvent employer de domestiques féminins de sang allemand ou de même nature, de moins de 45 ans.(…)

Fait à Nuremberg, le 15 sept. 1935, jour du Congrès de la Liberté : Parti du Reich

 

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3.  LES LOIS DE VICHY (France)

1940

27 août : Abrogation du décret-loi (JO du 30 août) interdisant les insultes raciales. Le décret-loi du 21 avril 1939, dit “Loi Marchandeau”, punissait toute attaque par la voie de presse “envers un groupe de personnes qui appartiennent par leur origine à une race ou à une religion déterminée, lorsqu’elle aura pour but d’exciter la haine entre les citoyens ou habitants”. Ce décret est abrogé le 27 août 1940. 

 1941

2 juin : Second “statut des juifs”.

Nous, Maréchal de France, chef de l’Etat français, Le conseil des ministres entendu, Décrétons :

 

21 juin : Loi réglant les conditions d’admission des étudiants juifs dans les établissements d’enseignement supérieur.

16 juillet : Décret réglementant la profession d’avocat par les juifs.

16 juillet : Décret réglementant pour les juifs les fonctions d’officier public ou ministère.

22 juillet : Loi relative aux biens, entreprises et valeurs appartenant aux juifs. Toute influence juive sur l’économie nationale est interdite.« La loi du 22 juillet 1941 « aryanisant » de fait les biens juifs aggravait l’appauvrissement de ces citoyens. » (5)

11 août : Décret réglementant la profession de médecin par les juifs.

13 août : Interdiction pour les Juifs de posséder un poste de radio.

25 septembre: Décret réglementant la profession d’architecte par les juifs.

2 novembre : Loi interdisant toute acquisition de fonds de commerce par les juifs sans autorisation.

10 décembre : recensement des juifs obligatoire

26 décembre: Décret réglementant la profession de sage-femme par les juifs. et Décret réglementant la profession de pharmacien par les juifs

 

1942

7 février : Couvre-feu institué pour les Juifs de 8 heures du soir à 6 heures du matin.

10 février : Interdiction pour les Juifs de changer de nom.

18 février : Loi créant un Ordre régissant la profession vétérinaire.

8 juillet : Interdiction aux Juifs d’assister à tout spectacle. Ils n’ont le droit de faire des courses que de 15 heures à 16 heures et sont obligés d’utiliser la voiture de queue du métro parisien.

16-17 juillet : La Grande Rafle dite du Vélodrome d’Hiver.

11 novembre : Toutes les cartes d’identité doivent porter l’inscription “Juif” ou “Juive” (Occupation allemande de la zone libre.)

PETAIN. Par le Maréchal de France, chef de l’Etat français

 

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FAUT-IL TOUJOURS OBEIR A LA LOI ?

Alain-Émile-Auguste Chartier (1868 – 1951)

 Je dis que le respect de la vie d’autrui n’est pas un devoir social, attendu qu’il existe indépendamment de l’existence ou de la nature d’une société quelconque. Quand un homme tomberait de la lune, vous n’auriez pas le droit de le torturer ni de le tuer. De même pour le vol ; je m’interdis de voler qui que ce soit ; j’ai la ferme volonté d’être juste et charitable envers mes semblables, et non pas seulement envers mes concitoyens ; et je rougirais d’avoir augmenté injustement la note à payer, qu’il s’agisse d’un chinois ou d’un nègre. La société n’a donc rien à faire ici ; elle ne doit pas être considérée. Ou alors, si je la considère, qu’exige-t-elle de moi, au nom de la solidarité ? Elle exige que j’approuve en certains cas le vol, l’injustice, le mensonge, la violence, la vengeance, en deux mots les châtiments et la guerre. Oui, la société, comme telle, ne me demande que de mauvaises actions. Elle me demande d’oublier pour un temps les devoirs de justice et de charité, seulement elle me le demande au nom du salut public, et cela vaut d’être considéré. C’est pourquoi je veux bien que l’on traite de la morale sociale, à condition qu’on définisse son objet ainsi : étude réfléchie des mauvaises actions que le Salut Public ou la Raison d’État peut nous ordonner d’accomplir.

Alain, Propos, I, Gallimard 1956

 

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La « solidarité » sociale va m’imposer des actes contre l’humanité au nom d’un groupe social. Donc la société à laquelle j’appartiens va m’imposer des actes qui vont à l’encontre de mes valeurs humaines

Pour Alain au nom de la solidarité sociale, je vais devoir accomplir des actes qui vont à l’encontre de la morale « humaine » et qui seront considérés comme justes pour la société à laquelle j’appartiens . Il y a donc paradoxe entre les valeurs humaines et ce que la société exige de moi au nom de sa morale.

LA DESOBEISSANCE CIVILE

Les précurseurs de la désobéissance

« Nous devons être d’abord des hommes et ensuite seulement  des sujets » 

H.D Thoreau (1817-1862)

Le terme a été créé par l’américain libertaire Henry David THOREAU dans son essai De la désobéissance civile publié en 1849 à la suite de son refus de payer une taxe destinée à financer la guerre des États-Unis contre le Mexique :En Juillet 1846,   Henri David Thoreau refuse de payer l’impôt à l’Etat américain en signe de lutte contre l’esclavage dans le sud et contre la guerre au Mexique. Il est emprisonné, mais sa famille paye une caution, il ne passera qu’une nuit derrière les barreaux. Il   écrira : « La Désobéissance civile » en 1849 dont le premier titre sera « Résistance au gouvernement civil » .

Ce texte fondateur influencera Léon Tolstoï, Gandhi, Martin Luther King

Un acte de désobéissance civile peut être caractérisé par six éléments :

Une infraction consciente et intentionnelle

Un acte public

Un mouvement à vocation collective ( s’inscrit dans un mouvement collectif).

Une action pacifique

Un but, à savoir, la modification de la règle (Obtenir au moins la modification de la norme contestée, au mieux son abrogation)  

Des principes supérieurs :  ( libertés publiques, respect de la personne humaine). Article 2 de la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen » de 1789 :  « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. »

Les précurseurs de la désobéissance

 Etienne de la BOETIE (1530-1563)

En 1574, les protestants face aux persécutions publient :   Discours de la servitude volontaire   écrit en 1549  par Etienne de la Boétie qui deviendra l’ami de Montaigne : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. » (La Boétie)

La Boétie, extrait de Discours de la servitude volontaire

 

Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien ! Vous vous laissez enlever sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu, vous laissez piller vos champs, voler et dépouiller vos maisons des vieux meubles de vos ancêtres ! Vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. (…). Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais certes bien de l’ennemi, de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, de celui pour qui vous allez si courageusement à la guerre, et pour la grandeur duquel vous ne refusez pas de vous offrir vous-mêmes à la mort. Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. (…) A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes ?    (…)

Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre.

 

La Boétie, extrait de Discours de la servitude volontaire

 

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 John LOCKE,
Traité du Gouvernement civil, 1690

“La raison pour laquelle les hommes entrent en société, c’est qu’ils veulent sauvegarder leur propriété ; la fin qu’ils se proposent lorsqu’ils choisissent et habilitent un pouvoir législatif, c’est de faire adopter des lois et établir des règles, qui servent de protection et de clôture à la propriété dans la société entière, de façon que chaque élément, ou chaque membre de celle-ci, détienne seulement un pouvoir limité et une autorité tempérée. En aucun cas, on ne saurait imaginer que la société veuille habiliter le pouvoir législatif à détruire l’objet même que chacun se proposait de sauvegarder quand il s’est joint à elle et que le peuple avait en vue quand il s’est donné des législateurs de son choix ; chaque fois que les législateurs tentent de saisir et de détruire les biens du peuple, ou de le réduire à l’esclavage d’un pouvoir arbitraire, ils entrent en guerre contre lui ; dès lors, il est dispensé d’obéir et il n’a plus qu’à se fier au remède que Dieu a donné à tous les hommes contre la force et la violence. Aussi, dès que le pouvoir législatif transgresse cette règle fondamentale de la société, dès que l’ambition, la peur, la folie, ou la corruption l’incitent à essayer, soit de saisir lui-même une puissance qui le rende absolument maître de la vie des sujets, de leurs libertés et de leurs patrimoines, soit de placer une telle puissance entre les mains d’un tiers, cet abus de confiance le fait déchoir des fonctions d’autorité dont le peuple l’avait chargé à des fins absolument opposées ; le pouvoir fait retour au peuple, qui a le droit de reprendre sa liberté originelle et d’établir telle législature nouvelle que bon lui semble pour assurer sa sûreté et sa sécurité, qui sont la fin qu’il poursuit dans l’état social.  (…)

 Locke, Deuxième Traité du Gouvernement civil, 1690, trad. Gilson, Vrin éd., pp. 203-206.

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 GANDHI,  grande figure de la désobéissance civile

Le 12 mars 1930, Mohandas Karamchand Gandhi entame une «marche du sel» en vue d’arracher l’indépendance de l’Inde aux Britanniques.

La Non-Violence à l’Oeuvre

Dans les années précédentes, le Mahatma a multiplié les manifestations non-violentes et les grèves de la faim en vue d’obtenir pour l’Empire des Indes un statut d’autonomie analogue à celui dont bénéficient les colonies à population européenne telles que le Canada ou l’Australie.

Faute de résultat, certains membres de son parti, le parti du Congrès, s’impatientent et menacent de déclencher une guerre en faveur de l’indépendance. Gandhi, pour ne pas être débordé, avertit le vice-roi des Indes que sa prochaine campagne de désobéissance civile aura pour objectif l’indépendance. C’est ainsi qu’il quitte son ashram des environs d’Ahmedabad, au nord-ouest du pays, accompagné de quelques dizaines de disciples… et d’une meute de journalistes.

Après un parcours à pied de 300 km, il arrive le 6 avril au bord de l’océan Indien. Il s’avance dans l’eau et recueille dans ses mains un peu de… sel. Par ce geste dérisoire et hautement symboliqueGandhiencourage ses compatriotes à violer le monopole d’État sur la distribution du sel. Ce monopole oblige tous les consommateurs indiens, y compris les plus pauvres, à payer un impôt sur le sel et leur interdit d’en récolter eux-mêmes. Il est analogue à l’impôt de la gabelle sous l’Ancien Régime, en France. Sources…

(Source http://www.lespacearcenciel.com/gandhi-et-la-marche-du-sel.html)

   “La non-violence est un principe universel qui doit triompher même dans l’adversité. C’est précisément lorsqu’elle doit affronter un milieu hostile qu’on peut mesurer son efficacité. Notre non-violence ne rimerait à rien si son succès devait dépendre du bon vouloir des autorités en place. […]

    On ne peut pas être vraiment non-violent et rester passifs devant les injustices sociales.

    La résistance passive est une méthode qui permet de défendre tout droit qui se trouve menacé en faisant retomber sur soi les souffrances qui peuvent en résulter. C’est le contraire de la résistance armée. Quand je refuse de faire une chose qui répugne à ma conscience, je fais appel à la force de l’âme. Supposons que le gouvernement fasse passer une loi qui m’atteint dans certains de mes intérêts. Si je recours à la violence pour faire abroger la loi, j’emploie ce qu’on peut appeler la force du corps. Si au contraire, je n’obéis pas à la loi tout en acceptant d’encourir les sanctions prévues, je mets en oeuvre la force de l’âme, ce qui suppose le sacrifice de soi. […]

    Une série d’expérience qui s’étendent sur ces trente dernières années (dont les huit années en Afrique du Sud) me confirme que l’avenir de l’Inde et du monde tient à l’adoption de la non-violence. C’est le moyen le plus inoffensif et le plus efficace pour faire valoir les droits politiques et économiques de tous ceux qui sont opprimés et exploités. La non-violence n’est pas une vertu monacale destinée à procurer la paix intérieure et à garantir le salut individuel. Mais c’est une règle de conduite nécessaire pour vivre en société, car elle assure le respect de la dignité humaine et permet de faire avancer la cause de la paix, selon les voeux les plus chers de l’humanité”.

 

GandhiTous les hommes sont frères, Gallimard, pp. 158-159, 161.

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Gandhi, Tous les hommes sont frères, Gallimard, pp. 158-159, 161.

Georges Gusdorf, Traité de l’existence morale, 1949.

 

“Le problème est ici celui du droit à l’insurrection, ou plutôt celui du devoir d’insurrection. Il y a, dans toute société un désordre établi. Chaque communauté se fonde sur des compromis, sur des transactions avec l’exigence des valeurs. La belle harmonie de la civilisation grecque n’est possible que grâce à l’institution de l’esclavage. Un moment vient où la conscience se révolte, où l’esclavage apparaît scandaleux, d’autant que des moyens techniques nouveaux permettent de mettre en œuvre d’autres sources d’énergie. Il a pourtant fallu attendre 1848 pour que la France réalise officiellement la suppression de l’esclavage. Les États-Unis y renonceront seulement au prix de la guerre de Sécession. Or, il y a toujours des esclavages à supprimer, des injustices qui garantissent un ordre abusif. Toujours est nécessaire le recommencement de cette autre guerre de Sécession de l’homme qui n’est pas d’accord, qui le proclame à ses risques et périls. Il y a des hommes qui préfèrent prendre parti pour le désordre, si le désordre est le seul moyen de hâter l’avènement de la justice et de promouvoir les valeurs. Celui qui, d’ailleurs, se désolidarise ainsi agit sous l’inspiration d’un vif sentiment de solidarité. Il en appelle de la communauté imparfaite et fausse à une communauté plus vraie.”

 

Georges Gusdorf, Traité de l’existence morale, 1949.

 

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 Martin Luther King (1929-1968)

 “Il y a deux sortes de lois : les lois justes et les injustes. Je suis le premier à préconiser l’obéissance aux lois justes. C’est une responsabilité morale aussi bien que légale. Or, cette même responsabilité morale nous commande inversement de désobéir aux lois injustes. […] Quiconque enfreint une loi injuste doit le faire ouvertement, avec ferveur, et la volonté d’en accepter les conséquences. Je soutiens qu’un homme qui refuse d’obéir à une loi lui paraissant injuste en son âme et conscience et qui se soumet de plein gré à la peine de prison afin d’en démontrer l’injustice à ses concitoyens, exprime en agissant ainsi son très grand respect pour la loi.”

Martin Luther King, Révolution non-violente, Paris, Payot, 1965, p. 101.

 Hannah ARENDT (1906-1975)

“Des actes de désobéissance civile interviennent lorsqu’un certain nombre de citoyens ont acquis la conviction que les mécanismes normaux de l’évolution ne fonctionnent plus ou que leurs réclamations ne seront pas entendues ou ne seront suivies d’aucun effet – ou encore, tout au contraire, lorsqu’ils croient possible de faire changer d’attitude un gouvernement qui s’est engagé dans une action dont la légalité et la constitutionnalité sont gravement mises en doute. […]
    Il existe une différence essentielle entre le criminel qui prend soin de dissimuler à tous les regards ses actes répréhensibles et celui qui fait acte de désobéissance civile en défiant les autorités et s’institue lui-même porteur d’un autre droit. […]

    Le délinquant de droit commun, même s’il appartient à une organisation criminelle, agit uniquement dans son propre intérêt ; il refuse de s’incliner devant la volonté du groupe, et ne cédera qu’à la violence des services chargés d’imposer le respect de la loi. Celui qui fait acte de désobéissance civile, tout en étant généralement en désaccord avec une majorité, agit au nom et en faveur d’un groupe particulier. Il lance un défi aux lois et à l’autorité établie à partir d’un désaccord fondamental, et non parce qu’il entend personnellement bénéficier d’un passe-droit.”

 

Hannah ArendtLa Désobéissance civile, 1972.

LA LOI EXCUSE-T-ELLE NOS ACTES ?

Le cas Eichmann

Eichmann était un fonctionnaire nazi qui a participé à l’extermination des Juifs et des minorités européennes lors de la Seconde guerre mondiale.

Après la guerre, il s’enfuit en Amérique du sud, mais   capturé   quelques années plus tard par un commando israélien, il sera jugé en Israël  .

Eichmann se défendit en disant qu’il s’était contenté d’obéir aux ordres.  

Eichmann était un fonctionnaire nazi qui a participé à l’extermination des Juifs et des minorités européennes lors de la Seconde guerre mondiale.

Après la guerre, il s’enfuit en Amérique du sud, mais   capturé   quelques années plus tard par un commando israélien, il sera jugé en Israël  .

Eichmann se défendit en disant qu’il s’était contenté d’obéir aux ordres.  

Propos d’Eichmann lors de son procès

EICHMANN : Je déclarerai pour terminer que déjà, à l’époque, personnellement, je considérais que cette solution violente n’était pas justifiée. Je la considérais comme un acte monstrueux. Mais à mon grand regret, étant lié par mon serment de loyauté, je devais dans mon secteur m’occuper de la question de l’organisation des transports. Je n’ai pas été relevé de ce serment.

Je ne me sens donc pas responsable en mon for intérieur. Je me sentais dégagé de toute responsabilité. J’étais très soulagé de n’avoir rien à faire avec la réalité de l’extermination physique. J’étais bien assez occupé par le travail que l’on m’avait ordonné de prendre en charge. J’étais adapté à ce travail de bureau dans la section, j’ai fait mon devoir, conformément aux ordres. Et on ne m’a jamais reproché d’avoir manqué à mon devoir.

Extrait des séances du procès Eichmann (1961)

Hannah Arendt et la banalité du mal : le cas Eichmann

ARTE Journal – 12/04/11  -Un reportage de Lionel Jullien 

Hannah Arendt reste un des plus grands esprits et des plus grands penseurs politiques du 20e siècle. D’avril 1961 au 31 mai 1962, Hannah Arendt est envoyée par le New Yorker pour couvrir comme correspondante le procès Eichmann à Jérusalem. A ce moment là, elle est déjà très connue, surtout aux USA où elle a émigré pour fuir le nazisme en 1941. Elle a déjà publié Les origines du Totalitarisme et  Condition de l’homme moderne.


Mais, ce procès va se révéler être l’occasion pour elle d’éprouver son travail sur le totalitarisme. Face à celui qui a pris une part active à la solution finale, elle le décrit comme un spectre, enrhumé même. Va alors en découler un concept philosophique d’une importance sans précédent car il pose la possibilité de l’inhumain en chacun d’entre nous.

Un concept novateur est inventé par le 20° siècle, attaché à lui : la banalité du mal.

Pour Arendt, la « banalité du mal » se caractérise par l’incapacité d’être affecté par ce que l’on fait et le refus de juger. Elle révèle une absence d’imagination, cette aptitude à se mettre à la place d’autrui.

A propos d’Eichmann, elle écrit :

« Plus on l’écoutait, plus on se rendait à l’évidence que son incapacité à parler était étroitement liée à son incapacité à penser — à penser notamment du point de vue de quelqu’un d’autre. (…) 

C’est la constatation que personne autour de lui ne semble remettre en question le bien-fondé de la Solution finale qui étouffe définitivement ses doutes.  

Autorité et expérience de Milgram

Jusqu’où peut aller la soumission à l’autorité ?

L’expérience de Milgram montre la  tendance de l’homme à se soumettre à l’autorité.

Stanley Milgram, un scientifique américain, a réalisé l’expérience suivante en 1963 : on propose à un volontaire de participer à une expérimentation psychologique. Un docteur pose des questions à un candidat, et à chaque mauvaise réponse, le volontaire doit appuyer sur un bouton qui envoie une décharge électrique au candidat. On demande, au fil de l’expérience, d’envoyer des décharges électriques de plus en plus fortes. La scène est évidemment truquée : le candidat ne reçoit pas des décharges électriques, c’est un acteur qui simule la douleur.

L’expérience de Milgram montre la  tendance de l’homme à se soumettre à l’autorité.

Stanley Milgram, un scientifique américain, a réalisé l’expérience suivante en 1963 : on propose à un volontaire de participer à une expérimentation psychologique. Un docteur pose des questions à un candidat, et à chaque mauvaise réponse, le volontaire doit appuyer sur un bouton qui envoie une décharge électrique au candidat. On demande, au fil de l’expérience, d’envoyer des décharges électriques de plus en plus fortes. La scène est évidemment truquée : le candidat ne reçoit pas des décharges électriques, c’est un acteur qui simule la douleur.

Le résultat frappant de cette expérience est que 63 % des volontaires allèrent jusqu’à des décharges mortelles, même si ce fut généralement avec réticence et difficulté (nervosité extrême, protestations verbales, rires nerveux, etc.). Ces expériences montrent la propension effrayante des individus à obéir sans se révolter.